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23 mars 2021

Colette et la passion du vin

Colette (1873-1954) a été une ambassadrice et une amatrice avertie des vins.

Elle a été propriétaire, près de de Saint Tropez,  de deux hectares de vignes, de forêts et de vergers qu’elle baptise « La treille muscate ». Elle la vendra en 1938.

Ambassadrice de marques, avant l'heure, elle sera « l'égérie du vin Mariani », boisson à base de vin de bordeaux et d’extraits de coca du Pérou, élaborée par un pharmacien.

Rédactrice d'une plaquette publicitaire pour une maison de négoce de vins de Nuits Saint Georges, elle s'attirera les foudres des Bourguignons. 

Pour ses 75 ans, elle reçoit une bouteille de Mouton Rothschild (de 1873 !).

 

Extrait de Prisons et Paradis, 1932

À l’âge où l’on lit à peine, j’épelai, goutte à goutte, des bordeaux rouges anciens et légers, d’éblouissants Yquem. Le champagne passa à son tour, murmure d’écume, perles d’air bondissantes, à travers des banquets d’anniversaire et de première communion, il arrosa les truffes grises de la Puisaye… Bonne études, d’où je me haussai à l’usage familier et discret du vin, non point avalé goulûment, mais mesuré dans des verres étroits, absorbé à gorgées espacées, réfléchies.

C’est entre la onzième et la quinzième année que se parfit un si beau programme éducatif. Ma mère craignait qu’en grandissant je ne prisse les « pâles couleurs ». Une à une elle déterra de leur sable sec, des bouteilles qui vieillissaient sous notre maison, dans une cave – elle est, Dieu merci, intacte – minée à même un bon granit. J’envie, quand j’y pense, la gamine privilégiée que je fus. Pour accommoder au retour de l’école mes en-cas modestes – côtelettes, cuisse de poulet froid ou l’un de ces fromages durs, « passés » sous la cendre de bois et qu’on rompt en éclats, comme une vitre, d’un coup de poing – j’eus des Château-Larose, des Chambertin et des Corton qui avaient échappés, en 70, aux « Prussiens ». Certains vins défaillaient, pâlis et parfumés encore comme la rose morte ; ils reposaient sur une lie de tannin qui teignait la bouteille, mais la plupart gardaient leur ardeur distinguée, leur vertu roborative. J’ai tari le plus fin de la cave paternelle, godet à godet, délicatement…

Ma mère rebouchait la bouteille entamée et contemplait sur mes joues la gloire des crus français. 

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